Comment faciliter la réparation et le réemploi des produits industriels ?

Les conséquences économiques des crises récentes telles que la pandémie et la guerre en Ukraine ont souligné les vulnérabilités qu’entraîne la désindustrialisation de la France. Toutefois, la réindustrialisation ne pourra se faire qu’en mettant en place les conditions d’une industrie plus durable et écologique, ne serait-ce que pour se conformer aux accords de Paris sur les émissions de gaz à effet de serre. Beaucoup d’espoirs reposent à cet égard sur l’économie circulaire, du réemploi à la réparation.

L’industrie doit désormais promouvoir la durabilité, mais aussi la circularité de ses produits et des ressources, afin de réduire l’impact de la fabrication de produits neufs d’une part, et de favoriser le réemploi et l’économie circulaire pour limiter les déchets et la pression sur les ressources naturelles d’autre part.

De l’intérêt de l’économie circulaire dans l’industrie

Dans l’industrie comme ailleurs, promouvoir l’économie circulaire revient à changer de paradigme. Il s’agit de passer d’un modèle linéaire (produire, consommer et jeter) à une boucle vertueuse dans laquelle les produits jetés sont soit réparés, soit désassemblés et réutilisés pour en fabriquer de nouveaux. Ce modèle comporte donc des avantages en matière écologique, mais aussi du point de vue de la résilience et de la souveraineté, selon Caroline Mini, cheffe de projet au sein de La Fabrique de l’industrie.

« D’une part, on utilise moins de ressources naturelles. D’autre part, on valorise des ressources et produits qui sont aujourd’hui considérés comme des déchets. Dans un contexte international marqué par le Covid et la guerre en Ukraine, où la rupture des chaînes d’approvisionnement constitue un risque majeur, réutiliser des produits qui se trouvent déjà en circulation et à proximité réduit considérablement cette menace. »

Mais la réparation et le réemploi constituent également un facteur d’économie, un vecteur de croissance et un vivier d’emplois potentiels, selon Franck Guéneau, en charge des clients issus de l’industrie manufacturière au sein du cabinet Néo-Éco, qui développe des boucles d’économie circulaire pour des parties tierces. Cet aspect est capital dans la mesure où les entreprises industrielles sont, comme toutes les entreprises, contraintes de dégager du profit.

De nombreux pays, lassés d’être considérés comme les poubelles du monde, ferment leurs frontières aux déchets, et un nombre croissant d’industriels se retrouvent avec leurs containers qui reviennent en sens inverse
Caroline Mini, cheffe de projet au sein de La Fabrique de l’industrie

« L’adoption de l’économie circulaire peut permettre aux entreprises industrielles de réduire leurs coûts en limitant la quantité de déchets qu’elles génèrent, sachant que le traitement de ces déchets coûte de plus en plus cher, poursuit  Franck Guéneau. En effet, de nombreux pays, notamment d’Afrique et d’Asie, lassés d’être considérés comme les poubelles du monde, ferment leurs frontières aux déchets, et un nombre croissant d’industriels se retrouvent avec leurs containers qui reviennent en sens inverse. Les éco-organismes tendent également à se développer et essaient d’organiser les filières de recyclage. Les recycleurs classiques font leur possible mais nous devons constater que de moins en moins d’espaces d’enfouissement sont disponibles. Heureusement, de nouveaux acteurs innovent dans le recyclage et le réemploi. Cette adoption permet aussi de faire des déchets une ressource plutôt qu’une ligne négative sur le bilan, en les revendant sous une nouvelle forme. Castorama a par exemple développé un plan de travail à partir de chutes de fenêtres en PVC et de bois de palettes.  »

Le cabinet Néo-Éco a pratiquement quintuplé ses effectifs sur les cinq dernières années, la preuve que l’industrie se convertit progressivement à l’économie circulaire, grâce à la combinaison de plusieurs tendances. « Outre la problématique de la gestion des déchets, déjà évoquée, citons aussi la législation qui évolue dans le bon sens, avec notamment la loi anti-gaspillage et la loi RE2020 en France, mais aussi le Green Deal européen qui montre bien que cela va continuer dans ce sens. Les industriels subissent également de plein fouet la flambée du prix des matières premières, ainsi qu’une pression croissante de la part du public qui exige des actions concrètes en faveur de l’environnement », résume Franck Guéneau. 

Pourquoi réparer n’est pas toujours facile

Le passage à l’économie circulaire implique cependant de repenser de fond en comble des modes de production qui se sont instaurés au cours des dernières décennies. En tant qu’administrateur général d’Envie Rhônes-Alpes, Cyril Kretzschmar supervise les opérations de récupération, puis de réparation ou de recyclage d’appareils électroménagers qu’effectue l’entreprise dans la région. Ceux qui peuvent être remis en état sont ensuite revendus à un prix plus compétitif. Les autres sont démantelés, et les composants utiles (comme les tubes cathodiques des écrans de télévision) sont récupérés et cédés à des éco-organismes. «  Sur mon secteur géographique, nous traitons un peu moins de 10 000 appareils par an, dont environ un tiers est réparé », détaille-t-il.

Nombre de constructeurs ont malheureusement encore le culte de l’obsolescence programmée et font en sorte que les composants matériel et logiciel ne puissent que très difficilement être achetés
Cyril Kretzschmar, administrateur général d’Envie Rhônes-Alpes

Selon lui, plusieurs facteurs compliquent aujourd’hui considérablement la tâche des particuliers qui souhaiteraient réparer eux-mêmes leurs appareils plutôt que de les jeter, et rendent nécessaire le travail d’une entreprise comme Envie. « Outre le problème de compétences techniques, que tous les particuliers ne possèdent pas, se pose celui des pièces détachées. Nombre de constructeurs ont malheureusement encore le culte de l’obsolescence programmée et font en sorte que les composants matériel et logiciel ne puissent que très difficilement être achetés par le plus grand nombre.

Si l’on prend une machine à laver, par exemple, la carte électronique qui permet de programmer les différents cycles de lavage est l’un des composants les plus fragiles, responsable de nombreuses pannes. Or, seuls les fabricants sont habilités à commander ce type de carte. Il est toujours possible d’en commander une copie fabriquée en Chine, mais on se heurte alors à un prix dissuasif : 120 euros au bas mot, quand une machine premier prix en vaut 180.

Il y a également un manque de standardisation des appareils, qui fait que chacun d’entre eux a besoin de pièces bien spécifiques, ce qui augmente encore la difficulté pour se les procurer. Des problèmes similaires se posent pour les smartphones, notamment.  »

Les lois en faveur de la circularité se multiplient

Les choses sont cependant en train de bouger. Avec la loi sur l’empreinte environnementale du numérique, adoptée en novembre 2021, la France est ainsi devenue le premier pays du monde à faire de l’obsolescence programmée un délit. « L’ennui, c’est que lorsqu’un photocopieur est produit en Corée ou en Chine, il n’est pas créé sous législation française.  On ne peut pas imposer de manière extraterritoriale des normes de production lorsque celui-ci n’est pas réalisée sur le sol national. Le distributeur est certes responsable de la qualité des produits qu’il vend, et la législation française permet d’interdire l’importation des produits pour lesquels on parvient à démontrer une volonté de faire de l’obsolescence. Mais dans la pratique, cette volonté est extrêmement difficile à démontrer, et l’importation de ces produits n’est par conséquent quasiment jamais interdite. Il faudrait donc également que des contraintes et incitations soient mises en place à l’échelle de l’OMC  », affirme Cyril Kretzschmar.  

On ne peut pas imposer de manière extraterritoriale des normes de production lorsque le produit n’est pas réalisé sur le sol national.
Cyril Kretzschmar, administrateur général d’Envie Rhônes-Alpes

Citons encore le règlement européen sur les batteries, actuellement en discussion, qui vise à renforcer l’adoption de l’économie circulaire dans cette industrie stratégique. « L’objectif de ce texte est de faire en sorte que les batteries neuves mises sur le marché contiennent une proportion minimale de contenus recyclés. À partir du premier janvier 2030, si le texte est adopté, ce minimum serait de 12% pour le cobalt, 85% pour le plomb, 4% pour le lithium et 4% pour le nickel, l’idée étant d’augmenter ces quotas au fur et à mesure. Avec en plus un objectif de recyclabilité de la batterie : aujourd’hui, seulement 10% du lithium contenu dans une batterie est recyclé, ce taux va être amené à augmenter », résume Caroline Mini. 

De jeunes pousses s’investissent également dans ce domaine. C’est le cas de la société Bring Back, spécialiste de la régénération des batteries au plomb, qui s’attaque désormais aux batteries au lithium. « Les batteries au lithium sont composées de plusieurs cellules, et traditionnellement, on considérait qu’une fois l’une de ces cellules mortes, toute la batterie était inutilisable. Bring Back est en train de développer une technique de conception de la batterie pour faire en sorte que les cellules puissent être testées facilement et soient interchangeables », explique Franck Guéneau. 

Cependant, un industriel qui veut bien faire n’a plus de contrôle sur son produit une fois qu’il est vendu. Il faudrait donc également des incitations à destination des particuliers pour les inciter à insérer leurs appareils défectueux dans un cycle de recyclage. « Cela peut passer par la facturation des déchets au poids, par exemple. L’Italie fait ça très bien  », développe Cyril Kretzschmar.

Vers une industrie de proximité et des circuits courts

Les difficultés liées au manque de normes internationales, soulevées par Cyril Kretzschmar, montrent en tout cas que le développement de l’économie circulaire nécessite une industrie forte. « En France, l’une des principales difficultés auxquelles se heurte cette économie est la faiblesse du tissu industriel français  », note ainsi Franck Guéneau. Selon lui, la mise en place d’un tissu de petites industries et d’artisans bien répartis sur le territoire est nécessaire pour passer à la vitesse supérieure. La décentralisation est en effet capitale, pour des raisons à la fois environnementales et financières.

« Disposer d’un tissu dynamique de PME, TPI et PMI capables de donner une seconde vie à des produits et de faire du réemploi de matière première permet de ne pas avoir à envoyer ces derniers par camion dans des centres situés à des centaines de kilomètres de distance, avec ce que cela implique en termes de coûts financiers et d’émissions de gaz à effet de serre.  » 

En France, l’une des principales difficultés auxquelles se heurte cette économie est la faiblesse du tissu industriel français
Franck Guéneau, cabinet Néo-Éco

À cet égard, la balle est selon lui dans le camp des pouvoirs publics, qui ont la possibilité d’activer des leviers à l’échelle régionale pour faire advenir cette vision. «  Il est important que chaque région fasse l’inventaire de ses forces et faiblesses, afin de travailler ensuite avec l’État et les entreprises pour développer une écologie industrielle territoriale qui permette à l’industrie de gagner en circularité et d’être plus vertueuse. L’objectif étant de mettre le moins de camions possible sur les routes et de mettre en place de petites structures productives qui ne demandent pas de grosses machines, et donc ne nécessitent pas de gros investissements », résume Franck Guéneau. 

Les régions devront également se synchroniser entre elles afin de développer des compétences complémentaires en fonction de leurs atouts spécifiques, le tout au service d’un tissu national écologique et résilient.  

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